Les ouvriers à la recherche du temps perdu

https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/04/28/les-ouvriers-a-la-recherche-du-temps-perdu-sur-arte_6038045_3246.html

Le Temps des ouvriers, divisé en quatre épisodes, la télévision méritera encore d’être regardée !Car avec cette histoire du monde ouvrier européen étalée sur trois siècles, Stan Neumann, célèbre documentariste d’origine tchèque, auteur de documentaires remarqués à la fois pour leur rigueur et leur esthétique soignée (la manière de décortiquer l’architecture de grands monuments ou une étude de la pensée du philologue allemand Victor Klemperer notamment), a réussi un véritable tour de force.

Lire la critique du documentaire :Entre l’intérêt historique, la force des archives filmées, la richesse des témoignages (ouvriers, historiens, philosophe…) et l’intégration de séquences d’animation aussi instructives qu’amusantes, ceTemps des ouvriers, appelé à devenir un classique, ressemble à une passionnante leçon d’histoire politique, sociale et économique dans laquelle les faits (des conditions de travail aux grandes luttes en passant par les relations entre patrons et employés) laissent aussi place à l’émotion.

Une émotion palpable lorsque des ouvrières et ouvriers d’aujourd’hui racontent, face caméra, leur expérience.« On est conditionnés par les sonneries, le bruit »,résume cette ouvrière d’une usine automobile. Pour cet ouvrier dans l’industrie agroalimentaire :

« Les gens ne se définissent plus comme ouvriers. Ils se définissent comme poste auquel ils sont affectés. Il n’y a même pas, au sein de la même usine, cette idée que l’on est tous dans la même galère ! »La fatigue, parfois l’humiliation. Et ce témoignage en voix off d’un ouvrier de chez Peugeot, recueilli il y a près d’un demi-siècle :

« Le travail à la chaîne, ça t’abîme le corps, le cerveau. C’est pas valorisant. A part les douleurs, tu transmets rien ! »Parole d’aujourd’huiLe plus étonnant dans cette longue histoire ouvrière européenne, qui part des premièresfactoriesbritanniques des années 1730, est de constater à quel point les problématiques restent les mêmes, à travers les siècles. Avec, comme première évidence, la dépossession du temps. Car être ouvrier, aujourd’hui comme hier, c’est d’abord vendre son temps.

« L’évidence avec laquelle passé et présent se font écho m’a surpris au montage », souligne Stan Neumann. L’ouvrier des usines Krupp au milieu du XIXe siècle qui doit s’adapter au rythme de plus en plus infernal des machines et voit son temps contrôlé même lorsqu’il va aux toilettes ? Cela rappelle des histoires plus récentes…

Une usine de verre, avec des enfants ouvriers, vers 1880. LES FILMS D’ICI Grâce à un montage remarquable, Neumann n’est pas resté prisonnier du cadre chronologique fixé par Arte. Même si les quatre épisodes bien identifiés (« Le Temps de l’usine », « Le Temps des barricades », « Le Temps à la chaîne », « Le Temps de la destruction ») font défiler les événements de 1700 à nos jours, le réalisateur ne cesse de confronter la narration historique à la parole d’aujourd’hui. Sans oublier d’intégrer les séquences d’animation qui permettent une respiration plus légère tout en décortiquant de manière ludique des concepts divers (du capitalisme au taylorisme).

Imprimer cet article Télécharger cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *